19 octobre 2006

« Ma démarche, c’est de regarder les réalités en face »

D.B : Les deux autres candidats pointent leurs divergences avec vous. Qu’est-ce qui vous différencie d’eux, de votre point de vue ?

S.R : Dans le débat démocratique pour la désignation du candidat ou de la candidate socialiste, je ne recherche pas les divergences, car ce débat doit servir la gauche. Et puis le projet socialiste, qui trace les axes de notre politique pour la France est notre bien commun, nous l’avons débattu et adopté ensemble. Ma démarche, c’est de regarder en face les réalités dans lesquelles se débattent nos concitoyens. Être de gauche, c’est répondre aux problèmes des gens qui souffrent. Où sont les principales souffrances aujourd’hui ? C’est la précarité que la politique de la droite a installée partout, les fins de mois difficiles, l’école qui n’a plus les moyens de tenir, pour tous les élèves, la promesse républicaine de réussite, la pénurie de logements, la dégradation de l’environnement et du cadre de vie, et les phénomènes de violence dont nos concitoyens les plus démunis sont les principales victimes. Ce sont ces difficultés quotidiennes que je dénonce, et auxquelles je veux porter remède.

D.B : Votre approche est très sociétale. Sur la carte scolaire, ou l’encadrement militaire des primo-délinquants qui ont fait couler beaucoup d’encre en raison d’une certaine porosité, disent certains, avec les thèmes de Nicolas Sarkozy. « Tout se tient », dîtes-vous. L’emploi, le pouvoir d’achat, le logement, ne sont-ils pas des préoccupations centrales ?

S.R : Bien sûr, je viens de vous le dire. Et tout se tient en effet, car une famille frappée par le chômage ou une famille dont le pouvoir d’achat se dégrade parce que les salaires ne suivent plus, une famille mal logée, c’est une famille fragilisée, avec souvent des conséquences pour la réussite scolaire des enfants. Il est insupportable que de si nombreuses familles n’aient plus les moyens de transmettre à leurs enfants la confiance dans l’avenir. Il est là le combat pour toute la gauche.
Sur la carte scolaire, il faut dire la vérité : elle aboutit aujourd’hui, trop souvent, à des réserves pour les riches et à des ghettos pour les pauvres. C’est une hypocrisie qui est dénoncée, par exemple, par Fadela Amara, du mouvement Ni putes ni soumises. Et là où Nicolas Sarkozy veut supprimer la carte scolaire et mettre en concurrence les établissements, c’est-à-dire introduire le libéralisme à l’école, j’ai dit qu’il faudrait l’assouplir, en donnant le choix entre deux ou trois établissements. Et surtout, nous devrons réaliser l’excellence scolaire partout, y compris dans les établissements aujourd’hui à la peine.
Quant à la sécurité, ce n’est pas un problème de droite ou un problème de gauche. C’est une préoccupation des Français, en particulier des couches populaires. Mais pour y faire face, il existe une réponse de droite et une réponse de gauche. La réponse de droite consiste à supprimer la police de proximité, à tenter de dresser les Français contre les jeunes ou les immigrés, à multiplier les opérations-spectacle menées devant les caméras, comme aux Mureaux. Et il y a une réponse de gauche : nous devons être lucides et fermes contre toutes les délinquances et contre toutes les causes - qui conduisent aux comportements délinquants (chômage, précarité, pauvreté, ghettos urbains).

D.B. : Les partis politiques doivent-ils se réformer ?
S.R :. Il n’y a pas de démocratie sociale vivante sans des syndicats forts et respectés. Il n’y a pas non plus de démocratie politique vivante sans partis politiques vivants. Je connais nos militants et je sais le coeur qu’ils mettent dans leur engagement. Si les partis politiques doivent se réformer, c’est pour mettre les militants à la première place et pour s’ouvrir davantage aux préoccupations et aux attentes des Françaises et des Français. Le Parti socialiste vient de le faire, en s’ouvrant aux nouveaux adhérents qui sont venus nombreux nous rejoindre. C’est le signe d’une soif de politique de nos concitoyens. À nous de ne pas les décevoir.
DB : Pendant la campagne référendaire, vous indiquiez que les couches populaires seraient les premières victimes du rejet du TCE. Quel serait le rôle d’un président de gauche en 2008, au moment où la présidence française de l’UE aura à renégocier le traité ?
S.R.: Je suis plus que jamais pour une France forte qui retrouve sa place dans une Europe politique. Le rejet du traité a été clair et net. Ce traité est donc caduc. Mais l’Europe est bloquée, nous le voyons tous. Les peuples ont découvert qu’une partie de - construction européenne s’était faite en dehors d’eux, qu’on les avait peu ou mal associés. Ils ont aussi perçu qu’il n’y avait pas ou plus de consensus sur le modèle européen, sur l’Europe que l’on veut, l’Europe dont on rêve. Je veux débloquer l’Europe et sortir la France de l’isolement. Oui, il faut relancer l’Europe à travers la politique, mais la politique ne se réduit pas aux institutions. Les institutions doivent être au service des objectifs politiques, pas l’inverse. Il faut d’abord réaliser l’Europe par la preuve et redonner aux citoyens une envie d’Europe. Je propose d’abord une refondation des objectifs européens, pour construire une Europe qui protège les salariés des délocalisations et du dumping social, une Europe de l’environnement, une Europe qui prépare notre futur commun par un investissement massif dans la recherche.
D.B : Dépasser l’antagonisme capital-travail (le Parisien du 23 février), réconcilier les Français et l’entreprise : vos thèmes sont ceux d’une vieille chimère centriste. Quelle est votre conception du rassemblement de la gauche ?

S.R : Mais croyez-vous que les salariés aient envie d’être brouillés avec leur entreprise ? Croyez-vous qu’ils n’aspirent pas à se sentir bien dans leur travail, sécurisés dans leur emploi, bien rémunérés, avec des conditions de travail dignes ? Pourquoi se battent-ils lors- que leur entreprise est menacée ? Ce n’est pas l’entreprise qui est en cause, c’est le rapport entre les salariés et le patronat. C’est pourquoi il est indispensable de mettre tout en oeuvre pour que les syndicats soient puissants. Aujourd’hui, le déséquilibre est en défaveur des salariés, et la droite a beau jeu de mépriser la démocratie sociale.
Le rassemblement de la gauche suppose un respect mutuel, une clarté sur les objectifs, et un accord sur les priorités. Il suppose aussi une volonté partagée et une dynamique de rassemblement. Sans le rassemblement de la gauche, rien n’est possible.

Entretien réalisé par D. B. L'Humanité du 17 octobre 2006