12 novembre 2006

Interview du J.D.D du 12 novembre 2006

Trois femmes démocrates, dont Hillary Clinton, viennent d’émerger du scrutin américain. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

SR : L’arbre ne doit pas cacher la forêt. Il ne faudrait pas accréditer l’idée que l’accès des femmes aux responsabilités est une chose acquise. De plus, le jour où trois femmes démocrates émergent aux Etats-Unis, on apprend qu’en France, une femme est violée toutes les deux heures. Il y a encore tellement à faire contre ces violences cachées faites aux femmes, contre le harcèlement sexuel, les inégalités salariales… La question des femmes n’a donc pas beaucoup progressé. Je pense même le contraire, quand j’observe que 80 % des travailleurs précaires sont des femmes.

JDD : Cependant, le fait qu’une femme puisse être candidate à l’Elysée ne montre-t-il pas un progrès ?

SR : Je crains qu’on ne se réjouisse trop vite et qu’à partir de quelques symboles, on se dise: « Voilà, c’est fait », alors que les résistances machistes sont fortes. Au plus profond de certains hommes, il y a antinomie entre l’exercice de l’autorité et du pouvoir, et le fait d’être une femme. On voit d’ailleurs ressortir des plaisanteries douteuses.

JDD : Quel bilan tirez-vous de ces débats que vous craigniez au départ ?

SR : Le parti a pris le risque d’affaiblir son candidat. Doutant de mes capacités, ce sont les deux autres qui ont voulu ces débats. Et s’ils en ont exigé six, c’est qu’ils pensaient que je ne tiendrais pas la distance. Finalement, les militants ont permis que tout se déroule correctement et moi, j’ai refusé de répondre aux attaques très violentes dont j’ai été l’objet. Si j’étais tombée dans la polémique, cela aurait pu très mal se terminer. Or, à l’issue de ce processus, ma légitimité n’est plus contestable, et le PS en sort grandi. C’est bien.

JDD : Que pensez-vous de la vidéo qui circule sur le Net et dans laquelle vous affirmez que les enseignants devraient être présents 35 heures par semaine au collège, au lieu de donner des cours de soutien dans le privé ?

SR : Ce sont des méthodes de fin de campagne. Je les déplore. Les questions d’éducation méritent mieux que ce genre de procédé. Je pense qu’une vraie révolution éducative est nécessaire pour lutter contre l’échec scolaire. Je préconise donc que les moyens à donner à l’éducation et à l’organisation du travail dans les collèges fassent l’objet d’un débat approfondi dès la campagne présidentielle et que l’on réponde au besoin de soutien scolaire individualisé. Je redis ici toute l’estime et la confiance que j’ai dans les enseignants.

JDD : Ces mauvaises méthodes ne compromettent-elles pas le rassemblement des socialistes derrière le vainqueur ?

SR : Plus la participation sera forte, plus le score sera net, et mieux les socialistes pourront se rassembler. C’est pourquoi la désignation du candidat, largement et dès le premier tour, est indispensable pour combattre la droite et les dégâts de sa politique.

JDD : Etes-vous rancunière ?

SR : Non, pas assez, c’est peut-être ma faiblesse. Mais comme je vais de l’avant, je ne traîne pas avec moi les scories du passé, toutes les méchancetés, les humiliations…

JDD : Pourquoi les militants voteraient-ils pour vous jeudi soir ?

SR : Mais parce que je peux gagner! Je suis la seule à pouvoir l’emporter sur la droite. J’incarne le changement profond que réclament les gens. Pour beaucoup, je suis la candidate contre les pouvoirs en place, contre les pesanteurs, contre ceux qui se pensent propriétaires de la chose publique. Il y a un côté insoumission chez mes partisans. Que la symbolique du père de la nation puisse être une femme, ça, c’est une révolution!

JDD : Vous sentez-vous prête à affronter le débat, vraiment contradictoire celui-là, avec des adversaires de droite ?

SR : Tout à fait, le débat sera plus clair, donc plus motivant.

JDD : Nicolas Sarkozy ne vous fait-il pas peur ?

SR : Mais c’est aux Français qu’il fait peur!

JDD : Même s’il reprend certaines idées du projet du PS, comme le remboursement des aides publiques par les entreprises qui délocalisent ?

SR : Il n’y a pas de risques de nous confondre. On ne fera pas une seconde fois aux Français le coup de la fracture sociale. Mais pourtant, son thème de la rupture paraît marcher… Les gens ont tellement besoin de croire au changement, de croire à l’efficacité du politique! Précisément, si je mène une bonne campagne, je saurai faire la différence.

JDD : La campagne sera-t-elle à nouveau axée sur la sécurité ?

SR : Moi, je suis axée sur les problèmes du pays: la relance de l’emploi, la lutte contre toutes les formes d’insécurité, mais aussi l’aide à ceux qui décrochent. Je veux tenir les deux bouts de la chaîne. Les sécurités quotidiennes sont le problème majeur des catégories populaires. Ceux qui, au PS, m’ont traitée de « deuxième Sarkozy », sont à côté.

JDD : Ce thème de la sécurité renforce-t-il le vote Le Pen ?

SR : La question que je me pose c’est comment ramener les électeurs d’extrême droite dans le giron républicain ? Parmi les électeurs de Le Pen, une partie, la moins nombreuse, adhère à ses idées. Les autres votent par colère. Il n’y a pas de honte à s’adresser à eux, le Front national n’est propriétaire d’aucun électeur. L’important, c’est d’être vrai. Je ne veux pas revivre le 21 avril 2002.

JDD : Le Pen doit-il avoir ses 500 signatures ?

SR : C’est son problème.

JDD : Si vous êtes désignée par le PS, comment comptez-vous rassembler la gauche ?

SR : Je crois à notre force de persuasion, et je fais le pari de rassembler un maximum de personnalités dès le premier tour. C’est mon côté idéaliste. Je ne suis pas inquiète et je m’attellerai à cette tâche immédiatement, si je suis désignée.

JDD : Et Jean-Pierre Chevènement ?

SR : J’ai bon espoir de le convaincre, dès lors qu’il se sentira respecté dans son itinéraire et ses convictions, qui font partie du patrimoine de la gauche.

JDD : Un rapprochement avec François Bayrou est-il envisageable ?

SR : Il est hors de question de nouer des alliances d’appareil avec la droite. Mais il peut y avoir des convergences sur des projets de loi. On appelle cela des majorités de projets.

JDD : Vos détracteurs vous soupçonnent de vouloir transformer le PS en parti de supporteurs?

SR : Qu’il y ait des supporteurs ne me choque pas, ce sont eux qui m’ont soutenue. Je respecte suffisamment les adhérents pour penser que, s’ils peuvent être des « supporteurs », c’est parce qu’ils ont des convictions.

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